Point de vue historique

L'exactitude historique

L'époque

Il est aisé de situer l'action du roman dans la Rome impériale, à l'époque de Néron, soit au premier siècle après Jésus-Christ. Dans le roman de Sienkiewicz, il est question d'un événement majeur de l'histoire de Rome, l'incendie de la Ville Eternelle. Nous savons par quelques pages de Tacite que le feu s'est déclaré dans la nuit du 18 au 19 juillet 64 et qu'il a prit du côté du Circus Maximus, au pied du mont Palatin. Sienkiewicz rend compte précisément de ces informations dans Quo Vadis ?

D'autres indices et d'autres faits nous permettent de situer l'action aux environs de 64 après J.-C. Il est question de la persécution des premiers chrétiens. La toute première période de persécutions a probablement duré quatre ans, de 64 à la mort de Néron, le 9 juin 68 (seul le martyre d'Etienne a précédé ces longues années, sous l'empereur Tibère). Il faut souligner qu'il ne s'agit pas de persécutions religieuses proprement dites. A l'époque, les chrétiens n'ont pas demandé officiellement le droit de pratiquer leur religion ; celle-ci est donc déclarée illicite, et les chrétiens risquent alors de se trouver en infraction à l'égard des lois. De plus, ils s'attachent à diffuser leur nouvelle religion dans le peuple romain : le christianisme devient alors l'ennemi le plus dangereux du pouvoir romain, qui était fondé sur l'ancienne religion nationale et sur le culte de l'empereur. Lorsque l'incendie éclate, les chrétiens deviennent les principaux suspects ; c'est l'ultime prétexte qui a servi à les condamner, même s'il est probable que l'incendie ait été d'origine accidentelle.

Ainsi, puisque les chrétiens ont été jugés responsables de l'incendie, leur châtiment est celui de n'importe quel pyromane, la peine de mort. Ils ont commis un crime de droit commun, la sentence est donc justifiée. Sienkiewicz rend compte précisément de cette fausse accusation contre les chrétiens à travers les paroles de Pétrone, s'adressant à l'empereur et à ses conseillers : « Livrez les chrétiens au peuple, suppliciez-les, mais ayez le courage de vous dire que ce n'est pas eux qui ont brûlé Rome ! note 1  » L'auteur retrace, dans la troisième partie du roman, le récit des persécutions chrétiennes : nous pouvons nous intéresser plus particulièrement au chapitre 62, intitulé « Les torches de Néron ». Il est décrit que le peuple se retrouve dans les jardins de César afin d'assister au martyre des chrétiens :

« Et la foule, après qu'elle eut franchi les grilles du jardin, devint muette de stupeur. Les allées principales, celles qui s'enfonçaient dans les fourrées, celles qui longeaient les prairies, les touffes d'arbres, les étangs, les viviers et les pelouses semées de fleurs étaient hérissées de piquets enduits de résine, auxquels on avait ligoté des chrétiensnote 2. »

Après l'incendie, il ne subsiste à Rome aucun autre lieu capable d'abriter de tels spectacles monumentaux : le Circus Maximus a été endommagé par le feu. Les Romains avaient coutume de placer les croix des condamnés le long des voies, comme le dit Tacite à propos des chrétiens : « Leur exécution fut transformée en jeu : on les revêtit de peaux de bêtes et il périrent sous la morsure des chiens ou bien ils furent cloués à des croix, ou bien on y mit le feu, pour que, lorsque le jour baissait, ils brûlent et servent d'éclairage nocturne note 3. » Ainsi, la représentation des persécutions par Sienkiewicz semble rigoureusement semblable à celle décrite par l'historien Tacite. Il confère à son récit une certaine véracité, puisque les écrits de Tacite sont parmi les seuls témoignages de cette époque qu'il nous reste. Cependant, si ce que Sienkiewicz dépeint est conforme au texte de Tacite, cela ne veut pas dire que cela corresponde à la réalité. Sienkiewicz a cherché à « faire vrai » en disposant des sources les plus connues. La vraisemblance est une des caractéristiques essentielles du roman historique ; Jean Lionnet a notamment loué la vraisemblance de la description du martyre de Saint Pierre dans Quo Vadis ? :

« Relisez le récit du martyre de Saint Pierre. C'est, si l'on nous passe cette expression un peu singulière, le point culminant du livre. On nous objectera peut-être que ces pages doivent leur beauté à des conventions poétiques ; que Saint Pierre n'a pas dû mourir dans un tel triomphe ; que tout cela paraît apprêté...Mais où voyez-vous de l'invraisemblance ? Quels arguments précis trouveriez-vous, s'il vous fallait prouver que ces évènements n'ont pas pu se dérouler ainsi ?note 4 »

Les personnages

Quo Vadis ? est un roman qui met en scène de nombreux personnages, principaux et secondaires, qui ont réellement existé et vécu au siècle de Néron. L'empereur est naturellement un des personnages capitaux dont Sienkiewicz dresse le portrait. L'auteur s'est fortement inspiré des Vies des douze Césars de Suétone, et plus particulièrement du livre VI consacré à la vie de Néron. Nous pouvons remarquer que la description du physique de Néron dans le roman est très proche de celle faite par l'historien latin : ce lien étroit contribue à rendre le roman vraisemblable. Ainsi, le corps de l'empereur semble plutôt laid, voire hideux, sa nuque est proéminente, son visage grotesque, et ses cheveux blonds sont arrangés en étages. Sienkiewicz n'oublie pas non plus d'évoquer la fameuse barbe de l'empereur, ainsi surnommé Ahenobarbus (barbe d'airain en latin) en souvenir de son appartenance à la branche de la famille Domitia, et qu'il vient de raser pour l'offrir à Jupiter.

Sienkiewicz a essayé de dresser le portrait le plus exact possible de Néron : sa véritable personnalité, décrite par Eugen Cizek, correspond à « l'image d'un homme de plaisir, au tempérament lascif, d'une nature exubérante et dissipéenote 5 » . Non seulement l'auteur de notre roman respecte ces traits de caractères, mais en plus, il agrémente son récit de détails, afin de donner plus de consistance et de vérité à son personnage. Ainsi, à plusieurs reprises l'empereur apparaît en possession de son émeraude : ce fait, inspiré d'une simple remarque de Pline l'Ancien, extraite de son Histoire naturelle, est exploité par Sienkiewicz qui met en scène ce que Pline n'avait qu'évoqué. Nous imaginons très bien Néron, approchant son émeraude de son œil, afin d'épier ce qui se passe lors du festin, ou bien faisant tomber sa pierre en frémissant lors du martyre de Crispus qui dénonce avant de mourir les meurtres commis par l'empereur.

Nous retrouvons dans Quo Vadis ? les nombreuses figures qui ont constitué l'entourage de Néron. Sienkiewicz n'en omet aucune, des plus célèbres aux moins familières : cela « vraisemblabilise » son récit. C'est ainsi qu'apparaissent Poppée, Tigellin, Pétrone, Sénèque ou bien encore Acté, Vitellius, Domitius Afer et Terpnos. De nombreux noms apparaissent dans le roman, mais tous ne donnent pas lieu à une description : cela permet en même temps, de ne pas alourdir la trame romanesque. Les personnages historiques dépeints sont ceux qui ont un rôle dans l'intrigue. Ainsi, Edmond Lemaigre dit au sujet de Poppée que « ce caractère est peut-être un des mieux compris, un de ceux dont les traits sont les plus ramassés et les plus expressifsnote 6 ».

Notre auteur a donc réussi à dresser des portraits conformes à ceux que l'on trouve dans les textes des grands historiens latins, notamment ceux de Tacite, dans le but de rendre son récit vraisemblable. Or il n'est pas inutile de rappeler que Tacite était un membre du parti sénatorial, et donc qu'il haïssait Néron. Les sources utilisées par Sienkiewicz sont donc loin d'être des témoignages impartiaux. Nous savons aussi que Suétone, malgré ses qualités d'historiens, ne donne jamais les origines de ses sources, peut parfois faire preuve de mauvaise foi, et en tant que haut-fonctionnaire, ne tient pas à heurter les gens en place. Mais comme nous ne disposons que de peu de textes d'écrivains antiques, Sienkiewicz s'est largement appuyé sur les plus vastes et les plus célèbres.

Nous avons donc constaté qu'évènements et personnages avaient un référent dans le réel. Mais il est essentiel de rappeler qu'ils font avant tout partie intégrante du système romanesque et ne sont que fictionnels. En effet, ces entités romanesques entretiennent un lien avec la réalité : ce rapport est, chez Sienkiewicz, le plus étroit possible. L'auteur a voulu à tout prix faire croire que son roman est une représentation réelle de la vraie vie antique. Cependant, ne nous y trompons pas : il s'agit bien d'un illusionnisme. Tout comme les évènements et les personnages, les lieux décrits dans Quo Vadis ? ne sont que des lieux de papier, mais Sienkiewicz nous les a rendu vivant. Nous pouvons donc à présent considérer l'exactitude d'un point de vue géographique et archéologique, afin de montrer comment Sienkiewicz a tenu à reconstituer un fragment de l'histoire antique dans toute sa totalité et sa précision.

Biographie

Contexte

Réception

Traduction

Etude

  1. Représentation fidèle de l'Antiquité
    1. Point de vue historique
      1. La fascination de l'histoire
      2. L'exactitude historique
    2. Point de vue géographique
      1. L'espace extérieur
      2. L'espace intérieur
    3. Point de vue socioculturel
      1. La couleur locale
      2. Les moeurs
  2. Poétique de la restitution
    1. L'imagination créatrice
      1. Imbrication fiction/histoire
      2. La réécriture
    2. Un roman à multiples facettes
      1. Une représentation théâtrale
      2. Un mélange de tonalités
    3. Un oeuvre picturale
      1. Le jeu des couleurs
      2. La puissance d'évocation
  3. Antiquité et actualité
    1. La Pologne
      1. Symbolique de la Pologne opprimée
      2. Patriotisme et espoir
    2. La France
      1. Esprit français de Sienkiewicz
      2. Reflet d'un siècle finissant
    3. La question religieuse
      1. Un problème religieux actuel
      2. Réhabilitation du sentiment religieux