Point de vue géographique et archéologique

L'espace extérieur

L'action de Quo Vadis ?, comme nous l'avons vu précédemment, se déroule au Ier siècle après J.-C., au coeur de la Ville Eternelle. Sienkiewicz ne décrit pas seulement l'époque néronienne, il représente aussi la ville de Rome d'un point de vue topographique. Nombreuses sont les références géographiques qui se mêlent au récit. L'auteur fait preuve de justesse et de dextérité car, d'une part, toutes ces références sont exactes (par rapport aux connaissance de l'époque), et d'autre part, elles sont judicieusement infiltrées dans l'intrigue. Les détails archéologiques ne rompent pas l'action, au contraire, ils sont intimement liés à elle. Ainsi, chaque déplacement de personnages ou chaque péripétie est matière à exposition d'éléments géographiques. Nous pouvons nous reporter au chapitre 20 « L'Ostrianum », épisode où Chilon et Vinicius suivent les premiers chrétiens vers leur lieu de culte :

« Ils marchèrent ainsi en suivant le Vicus Patricius, le long du Viminal, jusqu'à l'ancienne porte Viminale, près de la plaine où plus tard Dioclétien fit bâtir des bains splendides. Ils dépassèrent les ruines de la muraille de Servius Tullius et, par des chemins déserts, ils arrivèrent à la voie Nomentanea note 1. »

L'itinéraire décrit est cohérent et vérifiable sur un plan de Rome telle qu'elle était au Ier siècle.

Plus tard, pendant l'incendie de la ville, Vinicius part à la recherche de Lygie : nous assistons à un épisode épique dans lequel le héros tente de parcourir la ville à travers les flammes et la foule. Sienkiewicz retrace avec minutie le chemin parcouru par Vinicius : il passe par la Voie Appienne, puis décide de rejoindre la via Portuensis afin d'arriver au Transtévère. Il repart ensuite en direction de cette même via Portuensis. Alors qu'il est aveuglé par la fumée, il croit se diriger vers les Jardins d'Agrippine, au nord du Transtévère. Cependant il arrive près du Codetan au pied de la face nord du Janicule, avant de s'écrouler. Secouru par Chilon, le chapitre suivant relate leur course jusqu'aux catacombes. L'itinéraire du héros est décrit avec précision, les noms des rues sont exacts, leur situation géographique parfaitement respectée. Sienkiewicz connaît tellement bien les rues de Rome qu'il propose même parfois le chemin le plus court pour aller d'un endroit à un autre. Nous citons à ce sujet Edmond Lemaigre :

« Notre auteur connaît admirablement Rome, et de son livre on pourrait extraire des « itinéraires » tout faits, à l'usage de visiteurs de la Rome antique ou de promeneurs archéologues. Le plan n'a pas de secrets pour lui, il ne s'égare à aucun carrefour et ne veut ignorer aucun nom de ruelle, il connaît même les chemins les plus courts ; au passage, il cite tous les monuments et les moindres édiculesnote 2 . »

Il est clair que notre auteur possède une vive perception des lieux, sans doute grâce à ses nombreuses recherches et à sa longue imprégnation de Rome. Ses descriptions ressemblent de très près à celles des guides touristiques. Outre le nom des rues, Sienkiewicz présente leur agencement : il respecte notamment les témoignages des historiens latins qui signalaient l'étroitesse des rues. Lors du chemin qui mène Vinicius à l'Ostrianum, le héros se trouve face à un réseau de rues étroites : « A tout moment, il tombait sur un passage étroit, des parties de murs, des bâtiments dont il ne se souvenait pas les avoir jamais vus note 3 . » C'est encore le cas lors de son cheminement à travers le feu qui ravage la ville : « Les ruelles étroites, où la fumée s'était amassée plus épaisse, étaient absolument inabordablesnote 4. » Ces détails relatifs à la topographie de la Ville Eternelle sont disséminés dans le récit et n'enlèvent rien à l'intérêt de la trame romanesque. L'évocation des ruelles étroites lors de l'incendie n'est pas une description à but uniquement ornemental. Le réseau des rues de Rome est transformé en labyrinthe par le feu qui détruit les repères et par la fumée qui plonge la ville dans l'obscurité. Le héros parcourt ces rues qui sont devenues encore plus étroites à cause de l'entassement des foules horrifiées. Dès lors, les rues sont plus que le décor de la scène, elles participent à l'action.

Sienkiewicz ne se contente pas de décrire le réseau des rues, il s'intéresse aussi à tous les monuments qui sont autant de repères géographiques. C'est ainsi que lorsque Pétrone et Vinicius se rendent en litière chez Aulus Plautius, il fait défiler le forum romain devant les yeux des personnages et du lecteur :

« Des foules se promenaient sous les arcs de la basilique de Jules César, des foules étaient assises sur les marches du temple de Castor et Pollux, ou faisaient le tour du petit sanctuaire de Vestanote 5 [...] »

Ce passage nous fait découvrir le forum par quelques-uns des édifices qui le constituent. Les monuments énumérés sont cités en respectant un certain ordre logique : si on traverse le forum en progressant du nord vers le sud, on longe d'abord la basilique julienne, puis le temple de Castor et Pollux et enfin, près de la maison des Vestales, on arrive au temple de Vesta. Quo Vadis ? nous transporte au coeur de la Rome architecturale, où se mêlent temples, portiques, fontaines, amphithéâtres, ponts et autres aqueducs. Non seulement l'auteur situe chaque édifice à son emplacement historique, mais aussi, il ajoute parfois un ou deux détails concernant le passé du monument. Ainsi précise-t-il que le temple d'Hercule a été édifié par Evandre ou bien que le temple de la Lune date d'avant Servius Tullius.

Ainsi, tous les détails donnés par l'auteur quant à la topographie de Rome, révèlent un net souci d'exactitude et une recherche permanente de « faire vrai » . Certains critiques de l'époque ont à ce propos reproché à Sienkiewicz d'avoir fait preuve de beaucoup trop d'érudition et de pédantisme. D'autres ont pensé que le savoir de l'auteur ne gênait en rien l'intérêt du récit. Henri de Montherlant a notamment jugé la description du Transtévère « excellente, très juste du point de vue archéologique, et d'un intérêt qui ne faiblit pas un instantnote 6 ». Nous affirmons de notre côté que Sienkiewicz donne dans Quo Vadis ? une représentation extrêmement fidèle de la géographie de Rome, dans le but de rendre l'action vraisemblable, en faisant croire à celle-ci parce qu'elle se déroule dans un lieu véritable, vérifiable, au moins dans les guides touristiques. Ce respect scrupuleux de la topographie historique est donc visible à travers la peinture des lieux extérieurs, mais aussi à travers la description des lieux privés et plus intimes, c'est à dire de l'espace intérieur.

Biographie

Contexte

Réception

Traduction

Etude

  1. Représentation fidèle de l'Antiquité
    1. Point de vue historique
      1. La fascination de l'histoire
      2. L'exactitude historique
    2. Point de vue géographique
      1. L'espace extérieur
      2. L'espace intérieur
    3. Point de vue socioculturel
      1. La couleur locale
      2. Les moeurs
  2. Poétique de la restitution
    1. L'imagination créatrice
      1. Imbrication fiction/histoire
      2. La réécriture
    2. Un roman à multiples facettes
      1. Une représentation théâtrale
      2. Un mélange de tonalités
    3. Un oeuvre picturale
      1. Le jeu des couleurs
      2. La puissance d'évocation
  3. Antiquité et actualité
    1. La Pologne
      1. Symbolique de la Pologne opprimée
      2. Patriotisme et espoir
    2. La France
      1. Esprit français de Sienkiewicz
      2. Reflet d'un siècle finissant
    3. La question religieuse
      1. Un problème religieux actuel
      2. Réhabilitation du sentiment religieux