Point de vue géographique et archéologique

L'espace intérieur

Les aventures de Vinicius nous invitent à entrer dans les maisons romaines, les domus en latin. Il faut rappeler que ces demeures ne sont pas celles qu'habitent tous les Romains de l'époque puisque seules les familles les plus fortunées peuvent disposer d'une domus. Dans Quo Vadis ? , nous en visitons plusieurs, des plus modestes aux plus luxueuses. Lorsque le héros se rend avec son oncle Pétrone chez Aulus Plautius, famille qui a accueilli la jeune Lygie, la domus est alors décrite par touches successives. Nous allons découvrir les différentes pièces qui constituent la maison romaine au fur et à mesure des déplacements et des regards des personnages.

D'abord, Vinicius et Pétrone entrent dans l'ostium (entrée), puis se dirigent vers l'atrium (grande cour intérieure), dans lequel se trouve l'impluvium (bassin). Aulus Plautius apparaît alors en sortant du tablinium (salle de passage entre l'atrium et le péristyle). Plus tard, Pétrone regarde vers le jardin, et aperçoit Pomponia Graecina dans le triclinium (salle à manger). Cette visite dans la maison d' Aulus Plautius nous donne donc un aperçu des principales pièces qui composent la domus romaine.

Voir le site de JFBradu sur la maison romaine : plan, schéma, reconstitution...

Sienkiewicz semble avoir essayé de restituer le plus précisément possible l'intérieur d'une habitation romaine, au risque de ne pas paraître très original, dans le but de rendre son récit historiquement vrai.

La domus n'est pas la seule habitation évoquée par Sienkiewicz dans Quo Vadis ? Il est aussi question de la villa, c'est à dire la maison de campagne. Il s'agit bien d'une demeure réservée, elle aussi, aux citoyens romains les plus aisés. Dans le roman, c'est Vinicius qui fait allusion à sa villa dans une lettre qu'il adresse à Lygie alors qu'il est à Antium avec l'empereur. Il écrit : « J'ai là une habitation, tout près de la mer, avec des oliviers et un bois de cyprès qui s'étend derrière la villa note 1 [...] » Si Sienkiewicz a pris soin de situer la villa à Antium, c'est parce que nous savons que certains Romains se faisaient construire des maisons de villégiature dans des endroits très agréables, le plus souvent au bord de la mer, ce qui était le cas d'Antium.

Afin de nous donner une vision complète et juste de l'habitat romain au siècle de Néron, l'auteur évoque un troisième type d'habitation, qui est singulier puisqu'il s'agit du palais de l'empereur. Le palais est une domus aux dimensions démesurées. Avant l'incendie de Rome, Néron habite dans la Domus Transitoria ainsi nommée parce qu'elle relie l'Esquilin au Palatin. Nous avons un aperçu de la maison de l'empereur dans le chapitre 7, « Au Palatin », lorsque Lygie, après avoir été conduite au palais et remise entre les mains d'Acté, est forcée d'assister au festin organisé par Néron. Le banquet se déroule dans le grand triclinium où sont conviés plusieurs dizaines d'invités. Le palais possède de très nombreux appartements, puisque Acté, à elle seule, en dispose de plusieurs. Chacun possède son propre atrium. Acté dispose même d'un unctorium particulier, preuve du luxe de la maison. L'unctorium est une salle de friction dans laquelle un Romain, lorsqu'il est aux thermes, s'arrête pour se faire enduire d'huile. Dans le roman, Acté emmène Lygie dans son unctorium « afin de la frotter d'aromates et de l'habiller pour le festinnote 2 [...] » Enfin, les galeries du palais sont évoquées par deux fois, ce qui laisse imaginer l'ampleur de la Domus Transitoria.

Enfin, nous pouvons pénétrer dans la sphère privée des Romains par une promenade à travers les jardins des maisons romaines. Les Romains ont commencé très tôt à cultiver l'art du jardin. Ce goût se manifeste d'abord par la présence d'une abondante nature dans toutes les parties ouvertes d'une domus. De nombreuses espèces d'arbres ornent les jardins des Aulus. Nous y trouvons des cyprès, des viviers, des chèvrefeuilles, mais aussi des plantes grimpantes, comme le lierre et la vigne, et des arbustes, comme les myrtes. Les fleurs sont toutes aussi nombreuses : lis, iris et anémones colorent l'atrium. Les jardins de la maison de Néron comportent en plus des oliviers, des pins, des chênes, des « buissons de roses » et des crocus.

L'eau est très présente dans les jardins, de différentes manières. L'eau apparaît sous la forme de jets, comme chez Pétrone où « il [est] bien agréable d'écouter le murmure du jet d'eau dans l'atriumnote 3 [...] » L'eau ruisselante est présente dans tous les jardins, mais elle existe aussi sous sa forme stagnante, dans les jardins du palais de Néron notamment, où s'étendent des étangs. Sienkiewicz respecte une autre caractéristique du jardin à la romaine, l'omniprésence des statues qui font partie intégrante du paysage. Chez Aulus Plautius, « des statuettes de bronze figuraient des oiseaux aquatiques et des enfants, parmi les mousses et les touffes de feuillagenote 4 ». Quant au palais de l'empereur, s'y trouvent « tout un peuple de statuesnote 5 » .

Si nous nous en remettons à ce qu'écrit Pierre Grimal au sujet des jardins romains, il semble que les descriptions de Sienkiewicz respectent minutieusement la singularité de ces petits paradis privés. La civilisation romaine est imprégnée par une sorte de philosophie du jardin : les Romains « ont réussi à lui faire exprimer leur amour de la nature, en une synthèse où s'unissent au goût inné des réalités, de la plante, de la fleur, de l'arbre, de l'eau courante, les formes de la plastique grecquenote 6 ». Non seulement les éléments naturels dont parle Pierre Grimal sont tous présents dans les descriptions de Sienkiewicz, mais en plus, ce dernier fait ressortir la parfaite harmonie qui semble lier les éléments entre eux.

Ainsi, l'eau est en contact avec les buissons de rose, ou encore avec une statue de biche en bronze. Les plantes grimpantes s'agrippent aux colonnes, créant de l'ombre dans certaines pièces comme le triclinium. Les murs mêmes sont décorés de peintures représentant des arbres. Ce mélange harmonieux des divers éléments naturels confère au jardin une dimension idyllique. L'homme maîtrise la nature et crée l'ordre et la beauté : il transforme son univers naturel en un lieu merveilleux et enchanteur. Cette dimension apparaît très bien dans Quo Vadis ? , au moment où Lygie découvre les jardins de Néron. La jeune fille est subjuguée par la beauté des lieux où les grottes sont « merveilleuses », elle est « attentiv[e] à toutes les merveilles » et « en elle se disputaient l'intérêt, la curiosité et l'émerveillementnote 7 ».

Sienkiewicz se soucie scrupuleusement de la topographie historique de la Rome antique, comme nous l'ont montré l'étude de ses descriptions minutieuses de l'espace extérieur et de la sphère privée. Ces descriptions parfois fastidieuses montre le désir extrême de l'auteur de provoquer chez le lecteur un effet de réel. Nous avons l'impression qu'il met en littérature ce qu'il a lu dans les livres sur Rome afin de créer l'illusion réaliste. Cependant, le roman n'aurait pas été complètement réussi si notre auteur n'avait pas dépeint les moeurs des Romains du Ier siècle après J.-C. Dans Quo Vadis ? , Sienkiewicz veut figurer les moeurs de la civilisation romaine afin de présenter un tableau réaliste de la vie quotidienne des Anciens.

Biographie

Contexte

Réception

Traduction

Etude

  1. Représentation fidèle de l'Antiquité
    1. Point de vue historique
      1. La fascination de l'histoire
      2. L'exactitude historique
    2. Point de vue géographique
      1. L'espace extérieur
      2. L'espace intérieur
    3. Point de vue socioculturel
      1. La couleur locale
      2. Les moeurs
  2. Poétique de la restitution
    1. L'imagination créatrice
      1. Imbrication fiction/histoire
      2. La réécriture
    2. Un roman à multiples facettes
      1. Une représentation théâtrale
      2. Un mélange de tonalités
    3. Un oeuvre picturale
      1. Le jeu des couleurs
      2. La puissance d'évocation
  3. Antiquité et actualité
    1. La Pologne
      1. Symbolique de la Pologne opprimée
      2. Patriotisme et espoir
    2. La France
      1. Esprit français de Sienkiewicz
      2. Reflet d'un siècle finissant
    3. La question religieuse
      1. Un problème religieux actuel
      2. Réhabilitation du sentiment religieux