Quo Vadis ?, Le Livre de Poche, 1982, Chapitre 62 [Les torches de Néron]

Cf bibliographie pour plus de précision.

Les torches de Néron, extrait p. 605/607.

L'obscurité n'était point complète encore, que déjà premières vagues de la foule avaient commencé d'affluer vers les Jardins de César. Le peuple, en habits de fête, couronné de fleurs, s'en allait, chantant avec entrain, contempler un spectacle nouveau et splendide. Presque tous ètaient ivres. Les cris de : « Semiaxii ! enticii ! » retentissaient sur la Via Recta, sur le Pont Emilien, et, de l'autre côté du Tibre, sur toute la Voie Triomphale, aux alentours du Cirque de Néron, même là-haut, sur la Colline du Vatican. Déjà aupavant on avait eu à Rome le spectacle de gens brûlés sur des poteaux, mais jamais encore on n'avait vu semblable multitude de condamnés. Voulant en finir avec les chrétiens et enrayer l'épidémie qui des prisons se répandait de plus en plus par la Ville, César et Tigellin avaient fait le vide dans tous les souterrains, en sorte qu'il ne restait plus que quelques dizaines de prisonniers, réservés pour la fin des jeux. Et la foule, après qu'elle eut franchi les grilles du jardin, devint muette de stupeur. Les allées principales, celles qui s'enfonçaient dans les fourrés, celles qui longeaient les prairies, les touffes d'arbres, les étangs, les viviers et les pelouses semées de fleurs étaient hérissées de piquets enduits de résine, auxquels on avait ligoté des chrétiens.

Du haut des tertres, où le regard n'était plus entravé par le rideau des arbres, on pouvait contempler des rangées entières de palots et de corps ornés de fleurs, de lierre et de feuilles de myrte. Escaladant les buttes et descendant les vallons, elles s'étendaient si loin que les plus rapprochées semblaient des mâts de navire, et les plus lointaines apparaissaient comme une frise de thyrses et de piques multicolores fichés en terre. Leur nombre dépassait même les attentes du peuple. On eût dit qu'une nation entière avait été attachée à ces poteaux, pour la réjouissance de Rome et de César. Des groupes de badauds s'arrêtaient devant tel ou tel de ces mâts, si tel aspect excitait leur curiosité, âge ou sexe des victimes, examinaient les visages, les couronnes, les guirlandes, puis ils avançaient, tout étonnés de ce qu'il y eût autant d'incendiaires, de ce que des enfants, à peine en âge de marcher, eussent mis le feu à Rome. Et de l'étonnement on passa vite à l'inquiétude.

Cependant l'obscurité tombait, et les premières étoiles venaient d'éclore. A côté de chaque condamné vinrent se placer des esclaves armés de torches, et quand le cor eut sonné le commencement du spectacle, ils mirent le feu à la base des poteaux.

La paille imbibée de poix, dissimulée sous les fleurs, flamba incontinent d'une flamme claire qui, toujours accrue, déroula les guirlandes de lierre et enveloppa les pieds des victimes. Le peuple se tut ; les Jardins retentirent d'un seul gémissement immense, fait de milliers de cris de douleur. Pourtant quelques-unes des victimes, levant les yeux vers le ciel constellé, chantaient la gloire du Christ. Le peuple écoutait. Mais les coeurs les plus endurcis s'emplirent d'épouvante quand, du haut des petits piquets, des voix déchirantes d'enfants se mirent à appeler : « Maman ! Maman ! », et même les gens ivres furent secoués d'un frisson à la vue de ces petites têtes et de ces innocents visages crispés de douleur ou bien voilés par la fumée qui déjà commençait à suffoquer les victimes. La flamme montait toujours et dévorait une à une les guirlandes de lierre et de roses. Les allées principales et les allées latérales s'embrasèrent ; les bouquets d'arbres s'illuminèrent, et les prairies, et les pelouses couvertes de fleurs ; l'eau des bassins et des étangs s'irradia de reflets, les feuilles frissonnantes se tintèrent de rose. Et les plus lointaines apparaissaient comme une frise de thyrses et de piques multicolores fichés en terre. Leur nombre dépassait même les attentes du peuple. On eût dit qu'une nation entière avait été attachée à ces poteaux, pour la réjouissance de Rome et de César. Des groupes de badauds s'arrêtaient devant tel ou tel de ces mâts, si tel aspect excitait leur curiosité, âge ou sexe des victimes, examinaient les visages, les couronnes, les guirlandes, puis ils avançaient, tout étonnés de ce qu'il y eût autant d'incendiaires, de ce que des enfants, à peine en âge de marcher, eussent mis le feu à Rome. Et de l'étonnement on passa vite à l'inquiétude. Cependant l'obscurité tombait, et les premières étoiles venaient d'éclore. A côté de chaque condamné vinrent se placer des esclaves armés de torches, et quand le décor eut sonné le commencement du spectacle, ils mirent le feu à la base des poteaux. La paille imbibée de poix, dissimulée sous les fleurs, flamba incontinent d'une flamme claire qui, toujours accrue, déroula les guirlandes de lierre et enveloppa les pieds des victimes. Le peuple se tut ; les Jardins retentirent d'un seul gémissement immense, fait de milliers de cris de douleur. Pourtant quelques-unes des victimes, levant les yeux vers le ciel constellé, chantaient la gloire du Christ. Le peuple écoutait. Mais les coeurs les plus endurcis s'emplirent d'épouvante quand, du haut des petits piquets, des voix déchirantes d'enfants se mirent à appeler : « Maman ! Maman ! », et même les gens ivres furent secoués d'un frisson à la vue de ces petites têtes et de ces innocents visages crispés de douleur ou bien voilés par la fumée qui déjà commençait à suffoquer les victimes. La flamme montait toujours et dévorait une à une les guirlandes de lierre et de roses. Les allées principales et les allées latérales s'embrasèrent ; les bouquets d'arbres s'illuminèrent, et les prairies, et les pelouses couvertes de fleurs ; l'eau des bassins et des étangs s'irradia de reflets, les feuilles frissonnantes se tintèrent de rose. Et il fit clair, comme en plein jour. L'odeur de la chair rôtie emplit les jardins, mais immédiatement, sur les brûle-parfums placés entre les poteaux, les esclaves tèrent de la myrrhe et de l'aloès. Cà et là, dans la foule, des cris s'élevèrent, cris de pitié aussi bien que d'ivresse joyeuse. Ces cris s'enflaient d'instant en instant, à mesure que grandissait le feu qui, maintenant, enveloppait les piquets, rampait vers les poitrines, tordait les cheveux de son souffle brûlant, voilait les visages noircis et enfin fusait plus haut encore, comme pour affirmer la victoire et le triomphe de la force qui avait déchaîné.

Biographie

Contexte

Réception

Traduction

Etude

  1. Représentation fidèle de l'Antiquité
    1. Point de vue historique
      1. La fascination de l'histoire
      2. L'exactitude historique
    2. Point de vue géographique
      1. L'espace extérieur
      2. L'espace intérieur
    3. Point de vue socioculturel
      1. La couleur locale
      2. Les moeurs
  2. Poétique de la restitution
    1. L'imagination créatrice
      1. Imbrication fiction/histoire
      2. La réécriture
    2. Un roman à multiples facettes
      1. Une représentation théâtrale
      2. Un mélange de tonalités
    3. Un oeuvre picturale
      1. Le jeu des couleurs
      2. La puissance d'évocation
  3. Antiquité et actualité
    1. La Pologne
      1. Symbolique de la Pologne opprimée
      2. Patriotisme et espoir
    2. La France
      1. Esprit français de Sienkiewicz
      2. Reflet d'un siècle finissant
    3. La question religieuse
      1. Un problème religieux actuel
      2. Réhabilitation du sentiment religieux